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samedi, janvier 02, 2010

GNAW - this face


















conspiracy records - 2009

1. haven vault
2. vacant
3. talking mirrors
4. feelers
5. backyard frontier
6. watcher
7. ghosted
8. shard
9. BYF (reprise)

À cette question, déjà banale en soi, et de surcroît très galvaudée, de savoir, s'il ne devait y en avoir qu'un, quel disque on emporterait dans une chambre de torture, les réponses apportées restent souvent conventionnelles. Les uns abusent du second degré et trichent en citant une intégrale solo de Frank Black. Les autres évoquent d'un air plissé Le Pierrot lunaire de Schönberg chanté par Marianne Pousseur. Or, si l'on veut bien être sérieux un instant, l'on se doit d'admettre qu'il est impossible d'écouter Le Pierrot lunaire proprement tandis que l'on se fait, par exemple, cisailler la rotule avec une pince à métaux, et que jamais personne ne tiendrait le coup face à une intégrale Frank Black. Heureusement (malheureusement), il y a Gnaw. « Chaque fois que j'écoute This Face, j'ai envie d'éventrer Sharon Tate. », taquinait Charles Manson dans une interview récente pour le magazine GQ.

Il convient néanmoins de préciser que Gnaw n'est pas un groupe décoratif et ne fournit pas de musique d'ameublement pour les étudiants américains qui voudraient épicer de gore leur prochain Halloween. Gnaw est un groupe de musique expérimentale, radicale, entêtante, rude, décidée et tranchée. Gnaw commence là où Jean-Sébastien Bach écrit du dark métal. Précis, mathématique, implacable, savamment équilibré. Gnaw ajoute la science à l'horreur, la technique aux vagissements. Si l'idée est plus parlante, on indiquera que Gnaw joue le rôle que Sonic Youth a joué pour d'autres musiques : radicalisation, intensification, complication, brutalisation.

À la crête du grouillement, mi guitare, mi arc-à-souder, un bouillonnement de sonorités électroniques irise ses couleurs fraîches. Lorsque la lourde vague du grouillement se retire, ne reste que ce bouillonnement, proche d'une rythmique à la Steve Reich, dans un décor de crypte (Haven vault, introductif de haut vol). L'électronique est un dispositif essentiel du son Gnaw, y introduisant peu de dissonances, mais un design sonore multi-couche d'une grande richesse, avec beaucoup de perturbations, de fusés, avant d'aboutir aux nappes de bruit blanc attendues. Ghosted est sur ce plan exemplaire : derrière la grappe sonore musculeuse, de discrets arpèges de guitare acoustique doublés de violon se noient atrocement, puis insensiblement le mixage inverse les masses, pour étouffer les hurlements et céder la place au modeste duet. Le délicat moment pour perceuse électrique qui consiste à vriller le tympan sans endommager irrémédiablement le cerveau sera ingénieusement accompagné par les hurlements de Feelers, tant c'est avec reconnaissance que l'on y deviendra sourd. La voix de Alan Dubin (ex Khanate) gratte les murs, accroche ses ongles, est aspirée, brouillée vers des graves de cul de basse-fosse ; elle assure à elle seule une bonne part de la masse sonore. Gnaw oscille entre des approches dark métal industriel expérimental, avec pulsion de batterie, fracas de cymbales, mélopées zombies passées par un filtre monté sur un hachoir à viande (Vacant), et des prises plus near death experience qui, privées des frappes lourdes, restent étrangement flottantes (Haven vault), coincées dans un fauteuil de paralytique devant la scie sauteuse diront les esprits chafouins.

Certes, Gnaw n'est pas confortable à écouter. Mais est-ce pour le confort que l'on brise un nez avec des tenailles, que l'on tranche un orteil au sécateur, que l'on enfonce une lame de cutter sous les ongles ? Non ? Hé bien, voilà, c'est qu'on cherche autre chose. Et avec Gnaw, on a incontestablement trouvé une solution pour passer le mur des apparences, la première impression massive écrasante, et accéder à un niveau de conscience du surréel, passage qui ravira les amateurs de l'extrême et les mélomanes ouverts d'esprit.

Source : http://www.mille-feuille.fr/

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